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MAITRE OBSCUR

En s’inspirant d’une pièce qu’il avait déjà proposé en 2018 – The Dark Master- au Festival d’Automne, Kuro Tanino, metteur en scène japonais, signe un spectacle troublant qui interpelle sur l’évolution de nos sociétés.

On entre dans la salle de spectacle un casque vissé sur les oreilles. Une musique douce nous parvient, puis une voix. Nous n’avons rien à craindre, nous dit-elle. Pourtant cette voix venue de nulle part, douce, a quelque chose d’angoissant. Assis dans notre fauteuil, elle nous prévient que le noir complet va être fait dans la salle. Ce qui advient. La lumière se fait sur le plateau. On découvre un intérieur plutôt désuet. On se dit que nous sommes dans les années cinquante. Pourtant cette impression va être mise en doute par un écran accroché au plafond. Un homme entre suivi d’une femme. Ils portent une espèce d’uniforme gris et vont aussitôt se changer dans un placard. Ils en ressortent habillés de façon très ringarde. Au début, on pense qu’ils se connaissent mais petit à petit, on se rend bien compte que non. Suivent d’autres personnes. Au fur et à mesure que ces personnes évoluent dans cet appartement, selon le même rituel d’habillement, la voix du casque se fait de plus en plus présente sur le plateau, guidant les protagonistes dans leur moindres faits et gestes. Les dialogues entre eux laissent entendre que nous sommes dans un futur qui, à aucun moment, ne sera daté ; qu’ils suivent un programme de réinsertion. Ils ne savent plus faire la cuisine, ni mettre la table. Tout geste du quotidien, anodin, est l’objet d’un apprentissage. Mais où sommes-nous ? Telle est la question que nous nous posons tout au long de ce spectacle.
Tout en recréant un univers qui nous est familier, Kuro Tanino, introduit le décalage, l’absurde et semble nous parler d’un avenir où tout est régit par une intelligence qui échappe au contrôle humain, faisant de toute personne un.e lobotomisé.e. C’est souvent drôle, le metteur en scène prenant le contre-pied de ce que le spectateur est susceptible d’anticiper comme par exemple l’utilisation de préservatifs. L’accumulation de situations incongrues due à l’ignorance et à la soumission des personnages à cette voix, devient peu à peu anxiogène. On voudrait une rébellion de leur part, mais rien ne se passe. Tous sont ravis de la crèche, acceptant sans broncher le destin que leur soumet l’intelligence artificielle. On pense alors aux shows de télé-réalité où des gens sont lâchés dans un appartement et doivent faire des confidences à une voix. Les spectateurs sont ici mis en position de voyeurs, confrontés à leurs frustrations de ne pas savoir exactement de quoi on parle, de ne pas savoir où l’on est exactement. Aucune réponse ne sera donnée. Seule une des femmes finira par quitter cet enfer faussement doux.
On comprend ici que le projet de Kuro Tanino est de nous mettre face à une société de faux-semblants qui ne pense plus qu’au travers des réseaux sociaux : qu’est ce qui est vrai, qu’est ce qui ne l’est pas ? Comment garder son libre-arbitre lorsqu’on ne s’en remet plus qu’à des algorithmes ? Les comédiens sont absolument formidables dans ce qu’ils transmettent de non-vie et de sursauts de vie.
Ce spectacle nous montre la vacuité d’un monde où les humains sont soumis à une intelligence qu’ils ont eux-même fabriqué. Un effet pervers que le spectacle met en évidence par cette violence douce-amer qui émane des situations.
Une pièce à voir autant qu’à entendre.

MAITRE-OBSCUR
texte et mise en scène : Kuro Tanino
Avec : Stéphanie Beghain, Lorry Hardel, Mathilde Invernon, Jean-Luc Verna, Gaëtan Vourc’h
Scénographie : Michiko Inada
Lumière : Diane Guérin
Son : Vanessa  Court
Vidéo : Boris van Overtveldt
Costumes : Laura Lemmetti
Crédit Photo : Jean-Louis Fernandez

Du 19 septembre au 7 octobre 2024.

T2G- Théâtre de Gennevilliers-Centre Dramatique National
Réservation : 01 41 32 26 26
https://theatredegennevilliers.fr

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