Atteindre l’inaccessible toile
Si vous ne connaissiez pas cette nouvelle d’Honoré de Balzac alors il est temps de vous rattraper. Elle fut publiée pour la première fois en 1831 dans le journal L’ artiste et ouvre à une délicieuse réflexion sur l’art et la peinture en particulier. Pour être tout à fait exact, l’œuvre parait initialement sous le nom de Maître Frenhofer, l’un des protagonistes de la nouvelle ; un vieux briscard de l’art pictural qui a côtoyé les plus grands et qui garde en secret un tableau mystérieux et inachevé car il attend encore le modèle idéal. En attendant cet héros fictif créé par Balzac prend plaisir à discourir sur l’art avec deux autres comparses qui, eux, ont réellement existé : Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV (nous sommes bien ici au 17ème siècle) au sommet de son talent et un certain Nicolas Poussin, illustre inconnu dont il vient de faire la connaissance. Ces deux derniers salivent à l’idée de découvrir ce fameux tableau et c’est par l’intermédiaire de la compagne de Poussin, Ginette, modèle idéal, que leur voeu va pouvoir s’exaucer…
Adapter et mettre en lumière cette fantastique nouvelle avec une seule actrice relève presque du défi scénique ou d’une délicate folie !
Et pourtant c’est ce que va faire avec grande maestria la comédienne Catherine Aymerie. Aidée d’une mise en scène intelligente et fine de Michel Favard qui la fait évoluer dans un décor presque nu et avec peu d’accessoires, elle happe dès les premiers instants le spectateur en privilégiant un contact direct avec lui.
En maniant le verbe avec une superbe éloquence et une rare élégance, Catherine Aymerie fait résonner les mots de Balzac et les distille savoureusement pour nous mettre en haleine et nous faire plonger dans ce récit intrigant. Et sa grande prouesse est d’incarner tous les personnages masculins comme féminins avec toujours un ton juste et percutant.
Son adaptation de cette nouvelle fonctionne à merveille et nous transporte avec délectation dans cet univers pictural où nous nous laissons embarqués et ensorcelés par l’actrice. En s’adressant à nous, elle nous tend de manière métaphorique comme une toile de peinture sur laquelle nous imaginons le contenu. Au fil du spectacle, des tableaux se dessinent dans nos têtes jusqu’à la découverte du chef d’œuvre inconnu où nous atteignons l’extase de l’œuvre ultime qui dépasse son siècle !
La compagnie Théâtre de la Rencontre et sa formidable interprète réussissent ce pari de nous émouvoir artistiquement en faisant se fusionner littérature et peinture pour aboutir au final à l’éloge d’une passion unique et entière, la passion de l’Art… Ce spectacle donne une envie folle de se précipiter dans les musées, de redécouvrir des peintres, de s’interroger sur le sens et l’essence d’œuvres essentielles à nos vies. Mais avant cela, précipitez-vous à l’Essaïon pour découvrir ce magnifique chef d’oeuvre inconnu qui gagne à être connu !
Le chef d’œuvre inconnu
D’après la nouvelle d‘Honoré de Balzac
Adaptation théâtrale et jeu : Catherine Aymerie
Mise en scène : Michel Favard / Musique : Massimo Trasente / Lumières : Kostas Asmanis / Scénographie et costumes : Florence Évrard / Compagnie Théâtre de la Rencontre
Jusqu’au 27 juin 2023 / Les lundis et mardis à 19H15 / Les dImanches à 19h30
L’ESSAÏON
6, rue Pierre au lard (à l’angle de la rue du Renard) Paris 4ème
Métro : Hôtel de Ville (ligne 1), Rambuteau (ligne 4) ou Châtelet (lignes 1,4, 7,11,14)
Réservations : 01 42 78 46 42 / essaionreservations@gmail.com ou sur www.essaion-theatre.com
Crédit Photo : Jean- François Delon