Monologue pour un comédien et trois personnages, Seulaumonde est la première pièce de Damien Dutrait. L’histoire est celle d’un jeune homme que la mort a fauché dans un accident d’avion. Parti trop tôt, Seulaumonde résiste ; ne veut pas partir. Au moment où il doit vraiment le faire, s’engage un bras de fer entre lui et la mort. Il ne peut s’en aller comme ça en laissant derrière lui son père et sa mère à qui il n’a pas parlé, à qui il n’a pas dit les choses importantes. Et surtout en laissant son amour, là, de l’autre coté de la porte. Seulaumonde est un texte d’une extrême finesse touchant droit au cœur, où l’urgence de rattraper les petits rien de la vie qu’on a laissé filer, nous bouleverse par la justesse de ce que ce bonheur qu’on ne cesse de chercher nous aveugle, tant il est là, sous nos yeux. Damien Dutrait nous parle du processus d’écriture et de création de ce texte qui sera présenté au Théâtre de Belleville à Paris du 6 au 22 novembre prochains.
Comment est née l’idée d’écrire Seulaumonde ?
Le point de départ, c’est un voyage que j’ai fait en avion pendant lequel j’ai eu très peur. Cette fois là, il y a eu des secousses comme jamais je n’en avais connues dans ce genre de voyage. Les gens criaient et à un moment, je me suis dit « peut-être que là, dans trente secondes, je vais mourir ». Ca a été une fulgurance, une espèce de choc. Je n’avais jamais envisagé mon rapport à la vie comme ça. Quand je suis rentré, j’ai commencé à écrire là-dessus, mais sans projet véritable. Je ne me disais pas que ce serait une pièce de théâtre ou un roman par exemple. J’ai juste écrit deux ou trois pages sur cette peur. Et puis, de fils en aiguilles, il y a des choses qui se sont mises en place dans ma tête, sur l’histoire que j’allais raconter. Très vite j’ai visualisé qui pourrait jouer ce texte et donc je me suis mis à écrire pour un comédien en particulier, ce qui m’a permis de prendre de la distance par rapport à ce que j’écrivais. Ça m’a permis de ne pas rester dans ma petite histoire à moi.
Ce comédien, c’est Nelson-Rafaell Madel. Pourquoi cet acteur ?
J’ai toujours eu une fascination pour les comédiens. Même quand je n’aime pas un spectacle, je suis toujours intéressé de voir les comédiens jouer. Nelson-Rafaell Madel est un acteur qui m’a tout de suite frappé par sa présence sur scène. Il a quelque chose de très physique dans son jeu. Il est très ancré. C’est un comédien que j’ai suivi dans plein de productions différentes et à chaque fois, j’ai toujours été étonné de cela : de sa puissance de jeu, de son énergie et aussi de son amour du théâtre. C’est quelqu’un qui a un grand respect de la langue théâtrale. Le dialogue avec lui était, du coup, très riche, très subtil à plein d’endroits, car il avait bien conscience que j’écrivais pour lui.
Vous signez la mise en scène de Seulaumonde. Comment avez-vous vécu ce glissement de votre place d’auteur à celle de metteur en scène ?
Au début je ne me suis pas posé de question. On a commencé à présenté ce texte en faisant des lectures publiques. Puis quand le travail s’est resserré au plateau, je me suis détaché de mon rôle d’auteur, ce qui n’a pas été simple car j’ai retravaillé le texte d’un point de vue de metteur en scène : on a déplacé certains passages, on en a coupé d’autres. A chaque fois je me demandais si j’avais raison. Ce n’était vraiment pas évident et puis à un moment donné j’ai demandé à Emmanuelle Ramu de m’aider à la direction d’acteur. Ca a été un énorme soulagement car à ce moment là, j’ai pu prendre du recul. Une fois que les axes de travail étaient posés, Emmanuelle Ramu a pu travaillé avec Nelson-Rafael de manière concrète. Elle a fait un travail très précis sur le texte de façon à ce que le comédien l’intègre et se l’approprie. Du coup, je lui laissé un peu les rennes. Le scénographe a aussi fait beaucoup de propositions très intéressantes. J’ai pu prendre le recul nécessaire en tant qu’auteur. Par exemple, il y a des choix de mise en scène comme celui de faire jouer les trois personnages au comédien. Dans Seulaumonde, il y a trois personnages : Seulaumonde, son père et sa mère. On s’est beaucoup demandé si les personnages des parents étaient « réels » ou s’ils étaient des projections de Seulaumonde. Finalement après une lecture publique, on a posé la question à l’assistance. Les réponses nous ont conforté dans l’idée de faire jouer à Nelson-Rafael les trois personnages. A partir du moment où notre choix était fait, le public l’acceptait et suivait.
Puis on s’est attaché à travailler sur la langue. C’était agréable de sentir que le texte se détachait de moi. Sur les dernières sessions de travail, je ne suis venu que vers la fin. J’ai entendu des mots en me demandant presque qui les avait écrits. Je ne me suis pas formulé les choses aussi clairement mais c’était agréable d’entendre des choses que je n’avais pas entendues dans ma propre écriture. Tout d’un coup, ça ne m’appartenait plus. Emmanuelle et Nelson-Rafaell ont poussé très loin le travail. Maintenant c’est son texte à lui et ça, c’est beau.
Après Seulaumonde, vous avez écrit une autre pièce Dîner. Comment définiriez-vous votre écriture ?
Qu’est ce qui la travaille ?
Les thématiques sont très proches dans les deux pièces. Je m’en suis rendu compte en l’écrivant. Je ne l’avais pas conscientisé. Une amie m’a dit une fois que je travaillais sur l’indiscible. Et je crois comprendre maintenant ce qu’elle voulait dire. Je me rends compte que ce qui m’intéresse le plus, c’est de parler de choses qui sont extrêmement difficile à formuler : la mort, les non-dits, la maladie… Et j’adore les personnages qui ne disent pas vraiment ce dont il s’agit, ceux qui vont passer par la bande, qui ne vont pas se dire les choses de manière frontale ou bien les personnages qui parlent de deux choses en même temps, qui ne s’écoutent pas les uns les autres alors qu’en fait -on s’en rend compte bien plus tard- une information était passée. Et donc ce qui m’intéresse c’est comment utiliser les mots pour parler de choses pour lesquelles il n’en existe pas.
Avez-vous d’autres projets ?
J’ai quasiment fini d’écrire une troisième pièce qui s’appelle La Maison dans laquelle il y a plus de personnages que dans Seulaumonde et Dîner. J’y aborde encore beaucoup les rapports intergénérationnels et interpersonnels ; les rapports familiaux aussi. C’est un texte très lié à mon amour pour Tchekhov. J’ai beaucoup relu La Cerisaie ; je m’en suis inspiré même si, au final, l’histoire n’a rien à voir. J’essaie de ne pas m’enfermer dans la tristesse des sujets. Au contraire. Plus je travaille sur des sujets difficiles et plus ça m’amuse de prendre des contre-pieds. Il y a un projet de lecture qui est en train de se mettre en place, sans doute en 2017. Et puis, le Théâtre National de Toulouse l’a sélectionnée pour en faire une lecture publique. Donc à suivre….
Bio express: Damien Dutrait a débuté par la musique. Il a fait partie du groupe « La crevette d’acier » avec lequel il a enregistré deux albums. Il a travaillé également en tant qu’auteur, comédien et metteur en scène avec la compagnie de cirque Morosof, et a collaboré à la mise en scène des concerts de : Chloé Lacan, JéreM, du groupe «Charivari», «Gospel Project». Il a écrit et réalisé quelques courts-métrages dont John et Sasha qui a reçu le prix de scénario au festival « Les Conviviales » de Nannay et a mis en scène H2ommes, spectacle musical pour enfants récompensé du Prix jeunesse ADAMI 2014. Il est également auteur de recueils de textes : Le cri du renard au f o n d d u j a rd i n et Photographies sans appareil.
SEULAUMONDE de Damien Dutrait
Avec Nelson-Rafaell Madel
Mise en scène: Damien Dutrait
Mise en jeu: Emmanuelle Ramu
Scénographie et lumières: Nicolas Delarbre.
Collaboration sonore: Nicolas Cloche.
Le texte est paru aux Editions Les Cygnes.
Du 6 au 22 novembre 2016
Lundi et mardi à 19h15, dimanche à 20h30
Durée : 1h10
Théâtre de Belleville
94 rue du Fbg du Temple
75011 Paris
Métro: Goncourt ou Belleville
Réservation: 01 48 06 72 34
www.theatredebelleville.com