« Aller du Ciel au Monde et du Monde à l’Enfer. »

Voilà le grand retour de l’inclassable Robert Wilson (alias Bob). Il y a trois ans, le metteur en scène américain était l’invité du Louvre et donnait deux de ses œuvres au Théâtre de la Ville. Cet automne, pas moins de trois pièces seront présentées à Paris dont la reprise de L’Opéra de quat’sous de Brecht au Théâtre des Champs Elysées et Letter to a man avec le talentueux Mikhail Baryshnikov à l’Espace Pierre Cardin. Car rappelons-le, le Théâtre de la Ville entre en  rénovation dès le mois d’octobre.

Et c’est d’ailleurs au Théâtre du Châtelet qu’est jouée Faust I et II la dernière création de Bob Wilson qui collabore une énième fois avec la troupe allemande du Berliner Ensemble. Et quelle évidence pour le maître du formalisme que de se plonger dans l’une des œuvres les plus fantastiques de Goethe. Mais rien n’est du au hasard ; Wilson avait déjà tâté du mythe lors de mises en scènes d’opéras entre autres et surtout, il y a plus de trente  ans, son ami Heiner Muller lui avait souffler l’idée de le monter après qu’ils aient vu un Faust horriblement ennuyeux ! La chose est faite et autant le dire d’emblée, l’univers faustien est un terrain de jeu parfait pour Bob Wilson qui livre ici l’une de ses plus incroyables productions !

Il choisit  de monter le premier et le second Faust, l’un est la partie la plus connue, l’autre est plus contesté et fut même raillé par les pairs de Goethe pour son aspect trop symbolique où l’histoire laisse place à un voyage initiatique et plus abstrait… Mais loin d’arrêter le désir de Bob, c’est même cet aspect déconstruit qui va l’attirer et lui donner l’occasion de montrer toute la magie dont il est capable.
Et durant quatre heures, c’est toute la furie wilsonnienne qui va nous envoûter et nous transporter !

D’abord parce qu’en faisant adapter l’oeuvre, il l’imagine comme une sorte de comédie musicale avec des parties chantées et enlevées que prennent en charge admirablement les acteurs doués du Berliner Ensemble. Et puis tout en restant sur ses fondamentaux esthétiques bluffant avec ces tableaux géométriques découpés au cordeau, cette mise en scène si singulière de la lumière, ciselée et colorée, cette maîtrise du son et de la musique et ces images si expressionnistes,  il va donner une autre épaisseur au personnage de Faust démultiplié comme s’il était fait de plusieurs couches tout comme Marguerite (Gertrud).

Les docteurs Faust, barbus, vont pouvoir se dissoudre pour faire naître l’homme tenté par la chair et guidé par un Méphistophélès absolument génial, facétieux et décalé à souhait qu’interprète Christopher Nell. Faust et Méphisto sont alors pour Wilson comme deux entités complémentaires, ce que dévoile davantage la seconde partie.

Mais ce qui est plus surprenant et nouveau c’est l’utilisation, même très partielle, de la vidéo montrant des animaux courant à grande vitesse comme la course folle des hommes vers l’inconnu… Ou encore ce robot en seconde partie comme une autre facette de Faust. Wilson ne s’interdit plus rien et sublime par des apparitions féeriques l’oeuvre de Goethe. Et il réussit brillamment à faire alterner des scènes poétiques et douces comme l’apparition d’Hélène de Troie et des moments très drôles et burlesques à la Buster Keaton (une des références de Wilson) comme avec l’Empereur et sa cour déjantée rendant la pièce plus légère sans la dénaturer de sa réflexion philosophique.

Enfin, que dire de cet incroyable feu d’artifice d’images théâtrales que Wilson sait si bien engendrer comme un maître illusionniste.
Tout est calibré à la demi-seconde près : un acteur parle et disparaît, l’autre enchaîne avec une rapidité déconcertante ; c’est hallucinant de prouesses techniques que seul le cinéma peut procurer ! Ajoutez à cela la musique (en direct) et les chants entraînants de Grönemeyer et l’énergie communicative du Berliner Ensemble et vous obtenez l’une des plus belles œuvres de  Wilson.

La descente aux enfers peut s’opérer sans douleur lorsqu’elle est si jouissive ! Il ne vous reste plus comme le dirait le grand Bob qu’à « penser avec les yeux ».

Faust I et II
De Goethe
Direction, mise en scène, lumières : Robert Wilson
Avec les acteurs de la troupe allemande du Berliner Ensemble
Adaptation : Jutta Ferbers / Musique & chansons : Herbert Grönemeyer /  Costumes  : Jacques Reynaud / Lumières : Ulrich Eh /
Projections vidéo : Tomek Jeziorski / Direction musicale : Hans-Jörn Brandenburg, Stefan Rager
Jusqu’au 29 septembre 2016 à 19h

Théâtre du Châtelet
1 place du Châtelet Paris 1er
Métro : Châtelet (ligne 4, 1)
Réservation : www.chatelet-theatre.com ou au 01 40 28 28 40
© Lucie Jansch