Jeff a treize ans et un bec de lièvre. Pas facile, avec ce « handicap », de se faire accepter par ses camarades de classe. Surtout quand on est le petit nouveau. Jeff devient donc la tête de turc de sa classe jusqu’à ce qu’il se lie d’amitié avec un autre élève, nouvellement arrivé comme lui, plus grand et plus fort que tous les autres.
Comme par miracle alors, la « cicatrice », comme l’appelle ses parents, s’efface. La vie devient plus légère.
Mais toute cicatrice est le témoin d’une blessure. Celle de Jeff est grande, faite d’humiliations, de railleries et de soumissions intériorisées. Lorsque son ami l’invite chez lui pour échanger des timbres de collection, Jeff commet l’irréparable. Le temps que son camarade descende chercher une lettre, le voilà qui vole des timbres ; des timbres de grande valeur.
Le texte de Bruce Lowery, tiré de son roman « La cicatrice », joue sur le phénomène de réactions en chaine. C’est l’effet papillon en quelques sortes : le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut provoquer une tempête dans un autre coin du globe. Inexorablement, à partir du moment où il commet le larcin, Jeff s’enfonce dans une situation dont l’issue sera tragique.
Dès les premiers mots du comédien, le compte à rebours, projeté sur le mur du fond de scène, est enclenché. Soixante minutes. Soixante minutes avant le crash. Les secondes défilent sous nos yeux. Le comédien planté devant un micro raconte inlassablement l’histoire. Pas de jeux de lumières, pas de musique. La parole, seule. Jusqu’au vertige. Comme un exutoire ; une expiation. En contrepoint à cette histoire qui avance irrémédiablement, l’acteur est là, statique. Imperturbable. La voix semble neutre, dénuée d’affect. On hésite entre le stand-up d’un humoriste pince-sans-rire ou l’interrogatoire d’un criminel. On espère un mouvement, un renversement de situation, une blague qui contrasterait avec la gravité de la narration, mais non. L’histoire est déroulée et, plus on avance, plus on commence à percevoir le mur au bout de la route. Celui-ci devient de plus en plus distinct ; on le sent se rapprocher de nous ; il ne reste que quelques minutes au compte à rebours ; on comprend alors qu’on ne pourra pas l’éviter, qu’on est pris au piège, que la situation est hors de contrôle.
C’est à un spectacle exigeant que nous convie Vincent Menjou-Cortès, comédien et metteur en scène du spectacle. Un spectacle où l’écoute du spectateur, pris à témoin, est sollicitée à plein, où le jeu du comédien se tisse d’infimes variations. Ici, les yeux aussi écoutent. Et si, au début du spectacle, le compte à rebours peut gêner et questionner par sa présence, si on attend désespérément une rupture dans le rythme de la mise en scène tant au niveau des lumières que du jeu, on ne pourra, au final, que saluer la performance du comédien, impeccable et rigoureux et ce parti pris assumé et tenu jusqu’au bout. Une telle radicalité est trop rare sur nos scènes pour ne pas être saluée, bien qu’elle questionne la théâtralité de ce texte romanesque (et la théâtralité de manière générale, ce qui est louable.) et souligne la gageure de le porter sur un plateau. Mais le pari est réussi et le résultat fort intéressant. A voir et à suivre donc.
La Cicatrice de Bruce Lowery.
Mise en scène et interprétation : Vincent Menjou-Cortès
Scénographie : Fanny Laplane.
Lumière : Hugo Hamman
Son : Lucas Lemoine
Du 2 au 30 septembre 2018.
Le lundi et le mardi à 19h15, le dimanche à 15h.
Durée : 1h
Théâtre de Belleville
94, rue du Faubourg du temple 75011 Paris.
M° Belleville ou Goncourt.
Réservation : 01 48 06 72 34