La philologie mène au pire…
Qui ne connait pas sa leçon enfin… La leçon ? Un classique du théâtre de l’absurde de 1950 signé Eugène Ionesco et qui suivit de peu l’écriture de la fameuse Cantatrice chauve. D’ailleurs, elles se donnent encore toutes deux au Théâtre de la Huchette dans les mêmes mises en scène depuis la fin des années 50 ! Seulement voilà, depuis quelques temps, cet héritage littéraire de Ionesco est enfin tombé dans le domaine public et ses pièces peuvent être jouées plus facilement dans la durée. On voit alors fleurir par- ci par-là quelques mises en scène. Celle de La leçon par le non moins fameux Christian Schiaretti, sous la houlette des Tréteaux de France, s’inscrit dans une volonté de faire resurgir cette réflexion sur le savoir ou le non-savoir, sur la transmission, sur le rapport à l’effort tout en conservant la drôlerie et l’absurdité de l’univers de Ionesco. Un professeur aux premiers abords aimable, une élève à l’apparence candide et leur rapport aux connaissances arithmétiques et linguistiques qui vont les mener au pire. Sans oublier la bonne du professeur, Marie, témoin et complice des dérives de son « maitre ». Voilà la base de cette fable à l’humour noir dont Schiaretti s’empare et dépoussière.
« Dépoussiérer » pourrait être le mot adéquat car le décor qui se dresse devant nous se veut résolument moderne. Dans le salon panoramique de l’appartement du professeur, un mobilier presque clinique pourrait être celui d’un psy. Des tableaux abstraits sont accrochés au mur et vont se transformer au fur et à mesure pour devenir des tableaux d’école entre autres…. La prédominance du blanc immaculé sur les murs et dans le décor de lampes et de rames de papiers au pied de la scène de jeu rend le tout trop propre, trop suspect pour que cette leçon aille à son terme ! Le professeur dans son costume classique et la jeune élève, écouteurs aux oreilles et smartphone à la main finissent par nous convaincre dans ce parti pris contemporain. Seule la bonne interprétée ici par homme comme à sa création, semble toujours coincée dans une époque vieillotte et rétrograde.
Une mécanique infernale va lors pouvoir se mettre en place, un duel au sommet à coups de formules mathématiques et de jeux de linguistique poussés à l’extrême ! La jeune fille interprétée de manière assez juste par Jeanne Brouaye qui compose une adolescente « je m’en foutiste » et désinvolte (comme on se l’imagine aujourd’hui), va petit à petit se confronter à l’irrémédiable dislocation du professeur. Tout d’abord courtois, il va virer graduellement vers une folie destructrice à chaque fois que l’élève manque ses réponses et ! René Loyon en professeur « fou dingue » est absolument magistral : il laisse monter en lui cette déraison jouissive à observer comme un alcoolique en latence qui finirait totalement déchaîné ! Il est terrifiant à souhait, nous donne des sueurs froides et provoque un mal de dents terrible chez son élève !
Les deux acteurs maîtrisent parfaitement l’incroyable complexité du texte et ses fausses nuances et sombrent dans leur délire respectif tandis que Marie campée par le formidable Yves Bressiant ne peut que constater les dégâts ! On a beau connaitre ce texte, l’avoir vu monter maintes et maintes fois, on reste accroché à nos sièges en se demandant comment cela pourrait se terminer. Schiaretti et ses acteurs réussissent avec brio à nous surprendre. Et comme la pièce est courte, on repartirait bien pour un tour lorsque sonne à la porte la nouvelle élève qui ne sait rien du drame qui l’attend ! Car les murs ne restent jamais blancs très longtemps pour cette leçon très particulière !
La Leçon
D’Eugène Ionesco
Mise en scène : Christian Schiaretti
Avec : René Loyon (le professeur), Jeanne Brouaye (l’élève), Yves Bressiant (la bonne)
Assistant à la mise en scène : Joséphine Jaffrin / Scénographie et accessoires : Samuel Poncet / Lumières : Julia Grand / Costumes : Thibaut Welchlin / Maquillage et coiffure : Romain Marietti et Julie Brenot
Jusqu’au 2 juillet 2016
Du mardi au dimanche à 19h / Le dimanche 26 juin à 16h
Autres évènements : www.treteauxdefrance.com
Théâtre de l’Épée de Bois
Cartoucherie
Route du Champ de Manœuvre Paris 12
Métro : Château de Vincennes (Ligne 1) puis Navette Cartoucherie ou Bus 112
Réservations : 01 48 08 39 74 ou sur www.epeedebois.com
© JC Bardot / Le bar Floréal