La comédie humaine d’Ostermeier

Thomas Ostermeier – Anton Tchekhov, voilà une affiche bien alléchante et attendue ! Attendue parce qu’on connait la renommée européenne des mises en scène du dramaturge allemand qui après avoir brillamment monté ces dernières années Fassbinder ou Shakespeare, s’attaque à autre géant universel du théâtre, Tchekhov. Et une fois n’est pas coutume, c’est une version francophone qu’il présente à l’Odéon…

Et c’est La Mouette qu’il choisit, probablement pas par hasard, puisqu’elle questionne à travers les liens familiaux et amoureux, la place de l’art et en particulier du théâtre dans une société russe d’avant la révolution. Dans cette famille encore une fois bourgeoise, celle de la Russie des privilèges, deux générations vont alors s’opposer : celle de la mère Irina, actrice célèbre et narcissique d’un théâtre convenu et établi amouraché d’un auteur, Boris, tout aussi reconnu et celle de son fils, Konstantin, en totale rupture et qui présente son spectacle à lui maladroitement révolutionnaire ! Et au milieu de tout ça, Nina, la fragile mouette qui se va se briser les ailes à naviguer entre deux eaux, à vouloir devenir une actrice…  Puis les autres qui, comme souvent chez Tchekhov, penchent d‘un côté ou d’un autre et tentent désespérément de panser les blessures trop profondes.

Une mise en abime en effet intrigante pour Ostermeier qui à l’occasion de montrer ici sa vision du le théâtre dans le théâtre avec en toile de fond cette « crise humaine » comme il le décrit lui-même, des êtres qui dérivent et se perdent. Et pour cela il opte pour une scénographie ingénieuse tout en finesse qui va parfaitement illustrer cet effet miroir. Un plateau en bois occupe l’avant scène et déborde presque sur le premier rang comme un proscenium improvisé. C’est le plateau de la représentation au propre comme au figuré ; celle du spectacle du fils mais surtout celle des drames qui vont se jouer. Et cette « petite scène » concentre les intentions, démultiplie les souffrances et emprisonnent les personnages qui tentent parfois de s’en échapper. Une échappatoire provisoire en fond de scène et sur le côtés, où les acteurs visibles attendent et  restent néanmoins témoins.

Mais la grande poésie du décor vient de cette merveilleusement belle idée de confier à une artiste peintre, Marine Dillard, le mur de fond de scène sur lequel elle dessine un « tableau » dont il serait bien dommage de révéler le contenu puisqu’il apparait peu à peu sous nos yeux au fur à mesure que les événements se précipitent. Cette toile de fond (c’est le cas de le dire !) sublime l’ensemble et toujours dans cette idée de l’art qui se questionne, démontre que le décor peut se créer en partant de rien, de la nudité du plateau. Micros, guitare et surtout un traduction moderne du texte incluant des phrases issus d’improvisations des acteurs s’ajoutent pour nous amener à aujourd’hui.

Voilà donc les éléments en place, il ne reste plus qu’aux acteurs, tous formidables, de jouer leur partition avec une infinie délicatesse, avec beaucoup d’humour souvent, un humour grinçant qui rend encore plus tragique les situations. « Lorsqu’on n’a pas de vie véritable, on la remplace par des mirages » nous dit Tchekhov. Ostermeier nous propose le plus beau des mirages et vise juste une nouvelle fois. Il montre son talent indéniable à mettre en scène les drames de l’humanité universels et intemporels comme probablement toute son oeuvre l’est et le restera.

La Mouette
D’Anton Tchekhov
Mise en scène et adaptation : Thomas Ostermeier
Avec : Bénédicte Cerutti, Marine Dillard, Valérie Dréville, Cédric Eeckhout, Jean-Pierre Gos, François Loriquet, Sébastien Pouderoux de la Comédie-Française, Mélodie Richard, Matthieu Sampeur / Traduction : Oliver Cadiot / Musique : Nils Ostendorf / Scénographie : Jan Pappelbaum / Dramaturgie : Peter Kleinert / Lumière : Marie-Christine Soma / Costumes : Nina Wetzel / Création peinture : Katharina Ziemke
Du 20 maI au 25 juin 2016
Du mardi au samedi à 20h / Le dimanche à 15h

Odéon-Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon, Paris 6ème
Métro : Odéon (ligne 4) ou Luxembourg (RER B)
Réservations : 01 44 85 40 40 ou www.theatre-odeon.eu
Photo : © Arno Declair