Le siècle où nous sommes…
Il n’est nullement nécessaire de résumer une fois de plus l’essence d’une des pièces les plus emblématiques de l’auteur le plus célèbre du théâtre français. Plongeons donc immédiatement dans la proposition que la compagnie RL, à travers son metteur en scène René Loyon, nous offre sur le plateau du 100ecs. Il faut dire au préalable que René Loyon n’en est pas à sa première création d’un classique et encore moins à celle d’un Molière ; rappelons même que la compagnie RL fut nommée à la cérémonie des Molières pour son formidable Dom Juan. Et le moins qu’on puisse dire c’est que René Loyon manie comme personne l’art de faire entendre le texte, de faire résonner puissamment le propos. Son Misanthrope ne va pas déroger à la règle.
Le parti pris de la compagnie RL s’avère on ne peut plus surprenant. La majorité des personnages y compris Célimène sont campés par des actrices et des acteurs qui ne sont plus vraiment de la première jeunesse. Ce choix délibéré, assumé va étrangement transporter l’oeuvre de Molière dans une autre dimension et nous la faire regarder d’une manière inédite et extrêmement originale.
Dès lors, on ne se questionne plus sur une certaine jeunesse insouciante qui n’a pour but que de mordre la vie ou de se distraire mais sur cette insoutenable légèreté de l’être que l’atrabilaire Alceste semble condamner de ses voeux. L’âge n’a plus vraiment sa place dans cette subtile proposition et seuls les intérêts et les destinées de chaque personnages prévalent…
Ce qui va aussi donner cette profonde universalité et cette intemporalité au texte de Molière c’est le choix d’un décor épuré, contemporain, des costumes essentiellement sombres, une lumière jouant des clairs-obscurs qui suffisent amplement à concentrer le propos et qui précipitent les protagonistes dans une sorte de boîte noire qui les emprisonnent…
Et dans cet écrin dénudé, les actrices et les acteurs de la compagnie vont tout simplement sublimer le texte et ses enjeux. Chaque mot, chaque phrase, chaque intention nous parvient comme jamais et résonne de la manière la plus juste et la plus sincère. Le désir amoureux et pourrait-on dire les désirs amoureux nous apparaissent plus distinctement ; les frustrations, les refoulements, les déceptions surgissent de leur for intérieur sans jamais tomber dans le superficiel ou dans le pathos.
Claude-Bernard Pérot dessine un Alceste incroyablement humain moins empreint de noirceur, moins mélancolique mais plus doux et même drôle par endroits ; ce qui rend ses colères encore plus intenses. Corinne Bastat est stupéfiante en Célimène, l’emplissant d’une charmante folie, d’une suave ironie, d’une liberté d’être qu’elle défend ardemment. Toutes et tous dans cette distribution sont formidablement ancrés dans leurs personnages et donnent une intensité rare à leurs désirs .
© Nathalie Hervieux
Encore une fois cette direction d’acteurs si juste, si percutante que nous offre René Loyon, cette mise en scène simple et directe où on assiste avec délectation à des passes d’armes verbales où les mots fusent pour mieux s’apaiser, nous embarquent dès les premières minutes du spectacle.
Ces chemins qui se croisent, ces impossibilités amoureuses, ces ratés précipités, ces destins inaccomplis, cette soif de se protéger des hommes et de son époque sonnent de manière si contemporaine sous les lumières de la compagnie RL. Et qu’importe le siècle où nous sommes, à nous de le fuir ou de le suivre…
Ce Misanthrope est un bijou de profondeur et de vérité. Ne le ratez sous aucun prétexte et dépêchez-vous : ce sont les toutes dernières au 100ecs.
Le Misanthrope
De Molière
Mise en scène : René Loyon
Avec : Pierre Ascaride (Clitandre), Corinne Bastat (Célimène), Cristine Combe (Eliante), Francis Coz (Oronte), Dominique Gras (Basque, Du Bois, un garde), Evelyne Guimmara (Arsinoé), Claude-Bernard Pérot (Alceste), Dominique Verrier (Philinte), Thierry Vu Huu (Acaste) / Assistanat à la mise en scène : Evelyne Guimmara / Avec la complicité dramaturgique de Laurence Campet / Avec l’aide amicale de Nathalie Martella pour les costumes / Lumières : Laurent Castaing / Régie générale : Igor Galabovski / Production : Compagnie RL.
Jusqu’au 20 octobre 2023
Du lundi au vendredi à 20h / matinée exceptionnelle le 19 octobre à 14h30
Le 100ecs
Établissement culturel solidaire
100, rue de Charenton
PARIS 12e
Métro : Gare de Lyon (ligne 1 ou RER A et D) ou Ledru Rollin (ligne1)
Réservation : 01 46 28 80 94 ou sur www.100ecs.fr
Crédit Photos : Nathalie Hervieux