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SHE

Après le splendide EP A piece of She sorti en septembre 2016, Annika and the Forest nous offre un album d’une densité rare où la relation à l’Autre et à soi-même est le cœur d’un questionnement profond et poétique. Fidèle à sa ligne pop-mélancolique, Annika Grill déploie son art de la nuance et de la variation avec un sens de la composition peu commun. Des textes ciselés, des airs entêtants : on pourrait penser -et à juste titre- que She est un recueil de tubes. Ce serait trop facile si ce n’était que cela. Et ce serait réducteur. Derrière ces mélodies qu’on fait siennes immédiatement, on trouve un véritable projet artistique qui se nourrit et mûrit au long cours. Lumineux par l’évidence qu’il dégage, She fait partie de ces disques dont on ne se lasse pas et qui se révèlent d’écoutes en écoutes. Un album indispensable. Un coup de maître.
Rencontre avec Annika Grill, artiste aux multiples talents.

J’ai lu qu’avant d’être musicienne tu avais été plasticienne. Comment s’est fait le passage des arts plastiques à la musique ?
En fait c’est un vrai processus artistique. A un moment donné, je faisais des objets qui étaient très très lourds, très conséquents, très grands. Et puis, petit à petit j’ai fait des objets qui étaient de plus en plus légers mais aussi de plus en plus manipulables, que je donnais directement à des gens. Je cherchais de plus en plus une vraie connexion avec les gens. Petit à petit ce qui m’a intéressée le plus c’était le son. Le son en lui-même – comment dire, c’est difficile à expliquer- dans quelque chose qui n’avait pas de poids. Parallèlement aussi, j’écrivais énormément. Tout le temps. En fait je pense que j’étais déjà dans une démarche artistique qui allait vers la musique. J’aimais le chant mais je n’osais pas encore chanter. Ca s’est fait quand j’ai rencontré Edith Fambuena[1]. C’est elle qui m’a vraiment montré ce qu’était la musique. Je me suis mise à composer tout de suite, directement, avec elle.

Mais tu avais déjà des notions de musique ou pas du tout ?
Non, mais j’avais une oreille. J’ai toujours eu ce besoin de sortir quelque chose d’émotionnel ; peu importe si c’était par le biais du dessin, de la sculpture… Depuis toujours. En fait j’ai transposé ma technique plastique à la musique. Et puis après, on progresse. Dans tout ce qu’on fait. Je vois les choses comme ça. Au début je me suis entourée de gens qui étaient très professionnels. J’ai eu cette chance là en musique. J’ai tout de suite été initiée au travail en studio. J’ai fait beaucoup d’enregistrements ; j’ai travaillé tout de suite auprès d’artistes reconnus, même en composition. C’était assez dingue. Et ensuite quand j’ai composé toute seule, je me suis retrouvée à prendre en main une guitare sans savoir en jouer, mais quand même un petit peu. Je faisais des choses. Comme je pouvais.

On sent deux dimensions dans l’album She : une dimension horizontale et une dimension verticale. Du volume et de l’espace. Il y a comme une sédimentation des sons et des lignes mélodiques, qui créé du volume. En parallèle, par le dédoublement des voix sur différents plans, se dessine une distance, une géographie…
Tout à fait ! En fait je vois cela comme des paysages où il y aurait comme des scènes ; des scènes de films. Ou une image fixe (mais qui bouge quand même un peu, hein) où chaque instrument a son rôle à jouer, a un caractère qui correspond à la chanson. Je le vois comme ça. Après je sens la tessiture. En fait c’est très lié à la sculpture. Par exemple, quand il y a beaucoup de médium, je vais chercher de l’aigu ou du bas. Je vois cela comme des couleurs, par couches…

 On a vraiment une sensation de matériau travaillé. Les sons ont une texture. Par exemple dans Wings, il y a un son de synthétiseur qui ressemble à un chant d’oiseau ou dans The light of the night, il y a un son de guitare qui ressemble à quelque chose qui prend feu ; un son un peu « cramé ».
Ah oui. Alors pour Wings, j’ai fait appel à un musicien qui a de vrais synthés avec de vraies matières. Il s’appelle Alexis Anerilles. C’est avec lui que j’ai composé un autre titre qui s’appelle Inside Out. Il a une vraie connaissance de la matière de ses synthés. Il est vraiment là-dedans. Il a bossé sur pratiquement tout ce que j’ai fait. Quelque part il a toujours été là. Pour The Light of the Night, j’ai fait appel à un garçon qui est un vrai animal ! Sébastien Adam. Pareil, lui, il est vraiment dans la matière avec sa guitare. Il cherche la matière avec ses pédales d’effets. C’est ce qui m’intéresse chez lui. C’est exactement pour cela que je fais appel à ces musiciens ; pour la matière qu’ils trouvent.
En fait selon les morceaux je fais appel à des gens particuliers qui peuvent amener quelque chose de bien sur tel ou tel morceau. Pour Part of Sorrow, j’ai fait appel à Alice Lewis qui est une amie de très longue date, avec qui j’étais à l’école d’art. J’avais besoin de quelqu’un de confiance, qui pouvait prendre de la distance. Elle a fait un arrangement magnifique. Et puis il y a des gens qui apportent juste une petite touche ou des instruments ou quelque chose de vraiment fort. Par exemple, il y a un morceau où j’ai fait appel à Anne Pacéo et à Zoé Hochberg pour tout ce qui était rythmique. Elles m’ont tellement inspiré que je suis allée encore plus loin dans la composition. Voilà, là ce sont des choses qui arrivent. C’est rare, mais quand ça arrive, c’est formidable. C’est extraordinaire.

Justement, on se demande si sur certains morceaux il n’y a pas deux batteries…
Oui tout-à-fait. Comme sur cet album je suis en dualité, en confrontation avec moi-même, je voulais absolument avoir la même chose pour la rythmique. Je voulais qu’il y ait deux caractères rythmiques sur les morceaux et qu’il y ait une réelle confrontation parce que je trouve que chaque musicien a son caractère de jeu qui fait qu’il y a des propositions très différentes qui peuvent se marier très très bien. C’est pour cela que sur la plupart des morceaux il y a deux batteuses. Parfois il y a deux vraies batteries comme sur les refrains. Parfois ce sont des programmations et une vraie batterie.

Comment composes-tu ? Est-ce que tu pars d’abord d’un texte ou d’une mélodie ? Ou des deux ?
Ca dépend. J’ai fait un seul EP[2] où la composition s’est faite à partir des textes que j’avais écrit. Mais sinon, la plupart du temps c’est vraiment le besoin de sortir une émotion. Parfois, il y a des choses que je vais avoir écrites qui vont revenir dans la tête et ces phrases là vont ressortir avec des notes. Parfois ça va être une envie un peu plus physique, donc je prends la basse. Souvent je compose à la basse. Il y a des gens qui sont plus guitare –voix, moi c’est plus basse-voix. Souvent ça se traduit par des riffs[3]. Après, je vais faire la mélodie, je raconte l’histoire. Mais vraiment, cela dépend de l’émotion. Je trouve cela très compliqué d’expliquer. Parfois je me demande même comment ça arrive.

Peux-tu nous parler du processus d’écriture des textes ?
Disons que l’écriture d’un morceau va d’abord se faire de manière générale. C’est un peu pareil que la compo en fait. Ensuite, il va y avoir un moment : le moment du dévoilement, le moment clé. Pour moi, il y a souvent un moment -c’est souvent dans le pont en ce qui me concerne- où il va y a voir une sorte de vérité, un dévoilement qui va se faire. Si je n’ai pas cette surprise là en écrivant ou en composant, je vais la chercher jusqu’à ce que je la trouve. Du coup, il y a une progression dans le texte parce que, forcément, si sur le premier ou le deuxième refrain il aura été dit quelque chose et bien, après que cette chose aura été dite, la façon dont j’écrirais la suite va changer.

C’est comme si tu creusais… pour trouver une pépite ?
Absolument ! Derrière toutes les couches de sable et bien ça y est ! je trouve.

Dans Saltwater, certaines guitares font penser à The Cure…
Ah oui mais c’est sûr ! Pour moi The Cure, c’est vraiment une référence dans les guitares. Et comme je ne suis pas guitariste, je me permets des clins d’œil comme ça. Mais ce sont les effets aussi. Avec les pédales. Les effets de flanger[4] par exemple. The Cure jouait énormément sur ces effets alors forcément, quand on les utilise, c’est tout un univers qui nous arrive. Il y a des choses qu’on identifie à certains artistes. Le morceau No Grace fait un vrai clin d’œil à un autre groupe. A la toute fin sur le passage de guitare saturée : c’est un clin d’œil au titre No ordinary world de Duran Duran qui fait partie des choses que j’écouté dans mon enfance. Un clin d’œil avec un petit sourire en coin. Mais faire de la musique, ou exercer un art de manière générale, c’est un partage de tout ce qui a été fait avant.

 Quand on écoute Chromatic, ton premier album, on a l’impression d’une chose qui se cherche plus que sur l’album She. Quelle évolution vois-tu entre les deux ?
Je pense qu’il y avait en effet quelque chose qui était beaucoup plus en recherche sur Chromatic. En fait je dis que sur Chromatic il y a plus de nuit que sur She. Je sens ça vraiment comme cela. Il y a plus de lumière sur She. Les choses sont plus claires. Ca ne veut pas dire qu’il y a des compositions meilleures ou moins bien, c’est juste que c’est plus clair sur She. Il y a moins d’éléments. Je chante aussi avec plus de différences de tessiture. J’ai cette impression en tous cas. Oui, je trouve qu’il y a une vraie évolution. Quand j’ai travaillé avec le mixeur suédois sur Chromatic, je lui avais dit que j’avais laissé trop d’éléments et qu’il fallait surtout en enlever et je l’ai observé à enlever des choses. Sur She, c’est moi qui ai enlevé des éléments dès le départ. Et ça c’était un vrai choix : essayer d’épurer plus. Et, du coup, de se dévoiler plus. On voit plus les failles…On voit tout un peu mieux.

Comment envisages-tu le passage à la scène ?
Et bien la première chose que je fais, c’est d’apprendre mes lignes de basse AVEC le chant. Et ce n’est pas rien parce que ce sont des placements qui sont, pour le coup, pas évidents. Après je vois ce qui manque. Parce que je ne veux pas refaire exactement ce qu’il y a sur l’album. J’ai conscience que quand on écoute un live, c’est autre chose que quand on écoute un album. Il faut faire attention de donner une place à chaque élément et c’est encore plus important en live je trouve. J’ai tendance à mettre d’abord trop d’éléments comme en sculpture. Quand on est sculpteur, on rajoute et on enlève de la matière. Et bien pour la musique c’est un peu pareil. Donc j’essaie tout de suite d’être très consciente de ça : je regarde où j’en suis avec la voix et la basse et j’essaie de voir ce qui manque le plus. Les scènes avec les violons, souvent, j’en ai besoin. Donc je vais les placer tout de suite. C’est très important. Et après il va y avoir des éléments rythmiques, des choix à faire que je vais examiner avec les batteuses. J’essaie de faire un tri pour que chacun ait sa place. Et puis après sur scène, je trouve que c’est important de raconter une histoire par rapport à une humeur du jour et ce qui se passe ce jour là. On va forcément avoir un nouveau regard sur un même morceau selon le moment. Parfois je vais être plus triste, plus heureuse. Je ne peux pas prévoir en avance l’émotion qui va être là. Par exemple, si je parle d’une chose que j’ai vécue il y a un an : quand j’en parle sur le moment, j’ai une émotion particulière, mais un an après j’en parlerai différemment. Mon regard aura évolué et donc le sujet aussi, ainsi que la façon dont je chanterai le morceau afin que ce soit le plus vrai possible. Il faut que je sois vraie à l’endroit où je suis par rapport au moment présent.

Des dates prochainement ?
Oui. Le lundi 26 juin au Théâtre de la Loge à Paris et le 23 octobre au Café de la Danse. C’est un lundi aussi. La Loge ça va être une petite fête. On va dévoiler quelques nouveaux morceaux mais pas tous. Ca va être intime. Et puis, sinon en première partie d’Olivia Ruiz le 14 mai à Bruxelles et le 18 mai à Luxembourg à l’Atelier.
En fait, je fais des premières parties sur les concerts d’Olivia Ruiz. J’ai composé un morceau sur son dernier album. Sur scène, elle est avec cinq musiciens. Elle est incroyable. Elle donne tout. J’ai fait aussi la première partie de Cali au Bataclan, parce que j’ai chanté avec lui sur un morceau de son album. C’est assez étonnant parce que nous venons de deux univers très différents, et c’est justement ça qu’il cherchait a mon avis. C’était vraiment une expérience formidable ! Le titre est super et Cali est vraiment très généreux. C’est vraiment extraordinaire de voir des artistes comme ça ! Ce sont deux styles de musique, très différents. Ils ont un public qui les suit depuis des années, très réceptif. Ils sont magnifiques. Franchement, ce sont de superbes expériences pour moi.

SHE de Annika and the Forest.
Sortie le 28 avril 2017.
Paroles et musiques : Annika Grill,
sauf Inside Out : musique : Annika Grill et Alexis Anerilles
Crédit photos: Annabel Salesa

Concerts :
26 juin 2017 à 20h : Théâtre de la Loge. Paris
http://www.lalogeparis.fr/index.php

23 octobre 2017 : Café de la danse. Paris
http://www.cafedeladanse.com

Liens :
ANNIKA AND THE FOREST
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[1] Edith Fambuena est guitariste et autrice-compositrice. Elle fonde dans les années 80, le groupe Les Valentins avec Jean-Louis Pierot. Depuis la dissolution du groupe, elle se consacre essentiellement à la production et à la réalisation d’albums.

[2] « EP »  ou « Extended Play » est un format de disque plus long que le single mais aussi plus court que l’album. Généralement on trouve 4 à 5 titres sur un EP. (source Wikipédia)

[3] Un riff est une combinaison de notes, d’accords ou un refrain joué de manière répétitive. Par exemple le début de Satisfaction des Stones ou l’intro de Smell like teen spirit de Nirvana. (Source Wikipédia)

[4] Le Flanger est un effet sonore obtenu en additionnant au signal d’origine ce même signal mais légèrement retardé. D’un point de vue spectral, le traitement est similaire à un effet de filtrage en peigne balayant.( Source Wikipédia)

 

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