« J’te bouffe! »
Elle s’avance vers nous, dans la pénombre. Sur sa tête, des oreilles de lapin et, dans la bouche, des dents de vampire de farces et attrapes. Elle revient d’une fête apparemment. Il s’est passé quelque chose. Elle essaie de nous raconter mais son récit est confus. Elle tente de se souvenir, mais quelque chose lui échappe. Une chose est sûre : son adoration pour le soleil et l’impossibilité pour elle de s’y exposer. C’est connu, les vampires ne peuvent vivre que la nuit. La lumière du jour peut leur être fatale…
Aidée par un conteur-musicien, notre vampire tente tant bien que mal de reconstituer sa mémoire morcelée. La musique lui sert de guide, mais parfois, c’est elle qui reprend la main. Dans le rôle de ce personnage singulier, fort peu présent sur les plateaux de théâtre : Marik Renner, co-autrice avec Marien Tilliet, de la pièce. Tout repose sur elle et sur son jeu, d’une incandescence rare. Elle est tout simplement bluffante, passant avec une fluidité incroyable par mille états. Elle nous donne à lire en elle la tragédie qui se joue, non sans une pointe d’humour. A ses côtés, Marien Tillet tient la guitare et construit une partition musicale intense. L’atmosphère est feutrée, inquiétante. Quelque chose cloche mais on ne sait pas quoi.
Au fur et à mesure qu’on avance dans le récit se dessine une réflexion sur la mémoire, le temps qui passe. Sur la mort également. L’éternité : n’est-ce pas une mort si on doit la vivre seule, dans la nuit ? Mais l’éternité, n’est-ce pas aussi un moment figé ? Une seconde ou mille ans, n’est-ce pas la même chose ? Un instant suspendu, c’est un peu comme un trou de mémoire, un mot que l’on a sur le bout de la langue.
Le propre du traumatisme est de se rejouer sans cesse. Le traumatisé est enfermé dans un temps qui se répète à l’infini, s’il ne prend pas conscience de sa névrose, s’il ne la met pas au jour. Le trauma ne peut s’arrêter que s’il prend le soleil, que s’il est découvert. A défaut, les dispositifs que l’inconscient met en place pour sa survie, sont multiples : comme celui de devenir prédateur après avoir été proie et de ne vivre que dans le déni de ce qui a causé le trauma.
Dans notre histoire, lorsque sa mémoire se reconstitue, c’est le souvenir d’une agression qu’elle a subie que notre vampire dévoile. Elle en restera sidérée. Figée à jamais. Ne connaissant plus que la nuit.
Marien Tillet et Marik Renner ont une façon très subtile de nous parler des violences faites aux femmes. Ils nous emmènent progressivement là où jamais nous ne pensions aller. Ce récit, si fantastique qu’il puisse paraître, est on-ne-peut-plus ancré dans la réalité. Une réalité crue, violente, que subissent des milliers de femmes. C’est intelligent, sensible, parfois drôle, tragique aussi, mais surtout empli d’espoir car si ce récit déroule le drame, il propose aussi une résilience. Une résilience par la parole, seul moyen de ne pas rester figé, à l’instar de la comédienne qui ne bouge pas d’un millimètre pendant toute une bonne partie du spectacle. C’est également un formidable pas de côté, un point de vue original sur la figure du vampire; une manière inattendue d’aborder la thématique du viol. Mais le propre des vrais artistes n’est-il pas de nous faire voir les choses sous un autre angle, de nous en faire découvrir une vérité ignorée ? Pari gagné pour cette pièce : Une vampire au soleil est une véritable réussite, un spectacle qu’il faut courir voir !
Julia Bianchi.
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Une vampire au soleil
Texte, mise en scène et musique : Marien Tillet
Co-écriture : Marik Renner
Jeu : Marik Renner et Marien Tillet
Scénographie et lumière : Samuel Poncet
Son : Pierre-Alain Vernette
Du 7 au 24 juillet 2023 à 21h20
Durée: 1h15
La Manufacture
2 rue des Ecoles
84000 Avignon
Billetterie : la manufacture.org